Charles Jannet a pris ses fonctions de président de l’Association française cotonnière (AFCOT) en juin 2021 avec la priorité de tenir en présentiel le forum et diner en octobre (Lire : Douce révolution à l’Association française cotonnière), ce qui constitue la première réunion du monde cotonnier depuis deux ans. Une autre de ses priorités est la question de la durabilité et de la traçabilité du coton, dont il rend compte à CommodAfrica lors du Forum Afcot à Deauville mardi dernier.
Une des priorités de votre présidence de l’Afcot est la durabilité du coton ? Comment comptez-vous l’aborder ?
A titre personnel je suis très impliqué dans ma société, Ecom, à tout ce qui a trait à la durabilité et la traçabilité. Ecom est très présente dans le café et le cacao et est un des leaders dans ces filières certifiées. Aujourd’hui plus qu’un modèle économique, c’est un vrai besoin qu’ont les filières dans leur ensemble pour afficher un devoir de transparence, de traçabilité et de durabilité.
Un chantier a été mis en place sous la présidence de Curt Arbenz à travers la création du Comethi. Il consiste à développer une bibliothèque d’informations à tout ce qui a trait justement à la durabilité des filières pour essentiellement garantir une base de données qui puisse servir à toutes les sociétés cotonnières et négociants pour que le jour où une attaque est faite par une ONG ou un autre organe qui remet en question une filière que tous les membres puissent justement communiquer facilement sur les efforts qui ont été fait sur place et se défendre rapidement.
Toutes les sociétés ne sont pas vertueuses et on peut imaginer que celles qui seront attaquées ne soient pas répertoriées dans votre bibliothèque ?
Des choses doivent être améliorées partout. Mais la où il y a une absence de réponse il y a suspicion. Le fait de pouvoir acter ce qui est déjà fait sur le terrain donne un élément de réponse sur lequel on peut construire et avoir une vision objective et réaliste sans forcément qu’un point de vue unilatéral d’une source tierce puisse donne une vision un peu tronquée.
Vous parlez du café et du cacao, deux filières qui ont une longueur d’avance sur la durabilité par rapport au coton. La pression sur le coton est aujourd’hui moins forte que pour le cacao ou encore l’huile de palme, mais cela pourrait-il rapidement changer ?
Nous avons des exemples à suivre. Mais le café et le cacao sont des arbres sur lesquels on peut mettre en place un système que l’on peut suivre d’années en années. La logique avec un plant de coton que l’on plante par forcement au même endroit chaque année et pas forcement avec le même planteur rend la donne très différente pour le coton même si la démarche et la réflexion sont les mêmes. C’est plus compliqué car chaque année on repart de zéro et donc c’est important d’avoir des process qui soient bien documentés, qui expliquent le cheminement de A à Z depuis le moment où le coton est planté jusqu’à ce qu’il soit récolté et comment on passe à l’année suivante avec un schéma qui se réplique.
Pour le coton, la certification Better Cotton Initiative (BCI) est l’une des certifications sur la durabilité du coton la plus utilisée et qui se développe d’année en année. Toutefois, BCI a perdu un peu en crédibilité avec sa position sur le coton du Xinjiang en Chine ?
BCI est aujourd’hui le standard de coton qui est le plus applicable, adapté aux récoltes mécaniques mais aussi à la main. Aujourd’hui, on atteint 6 millions de tonnes certifiées BCI, dans le monde, soit près du quart de la production mondiale de coton.
Le principal problème de BCI aujourd’hui c’est le concept de mass balance, qui n’est pas ou est mal compris par les consommateurs. Une grande partie du coton BCI n’est même pas vendu comme coton BCI, donc in fine il n’ y a seulement qu’une petite partie du coton BCI qui est valorisée en tant que tel quel. Il reste à faire un grand travail d’intégration de cette certification dans la chaine de valeur. C’est ce que demande le consommateur et ce lien se fera essentiellement à travers la traçabilité et la transparence. La difficulté est essentiellement liée à la fragmentation de la chaîne de valeur. Aujourd’hui, seulement 10% des usines textiles sont intégrées, 90% du reste de la production textile est fragmentée. Elle peut se faire dans un même pays mais aussi voyager dans deux ou trois pays à travers le fil, le tissu, la confection, etc. C’est cette chaîne que l’on essaye de raccourcir ou en tout cas de travailler ensemble à travers des systèmes qui connectent les données que l’on puisse savoir d’où vient la marchandise.
En fin de compte il y a un décalage entre ce que veut le consommateur, ce que mettent en avant les grandes marques/détaillants et la réalité du marché ?
C’est clairement un paradoxe où l’on a deux pôles qui n’arrivent pas à bien échanger des informations qu’ils ont. C’est vrai que la demande pour la traçabilité et la durabilité aussi se focalise beaucoup sur le coton organique qui est aujourd’hui confronté à son modèle économique. Il y d’autres initiatives, comme l’agriculture régénérative, qui sont un bon substitut au coton organique. On voit de nombreux projets au Brésil. Dans ce cadre, on s’inscrit plus dans la biodiversité que le biologique avec une rotation de cultures et une capture des émissions par le sol. On est dans une logique de neutralité carbone à horizon X que demande aussi la plupart des grandes enseignes. On peut avoir des projets qui mesurent les émissions que la production de coton va engendrer, assurent la durabilité et la traçabilité du coton. Tous ces éléments mis ensemble correspondent à ce que le consommateur final veut et est en droit d’avoir.
Pour un petit producteur africain, qui cultive souvent moins de 2 hectares, c’est compliqué ? Comment les intégrer dans de telles chaînes ?
On est au début d’un grand chantier. Un producteur brésilien qui possède 30 000 hectares est en mesure de mettre directement en place un système à son échelle. Dans le cas du cotonculteur en Afrique, il faut passer par la société cotonnière locale et mettre en place des partenariats avec des aides locales. Cela peut-être des ONG pour la mise en place de plates-formes, des financements publics, auxquels après s’associent des off-tacker, des négociants qui sont ceux qui apportent le modèle économique en partenariat avec les sociétés cotonnières.
Cela veut dire que cela sera plus compliqué en Afrique de l’Ouest par rapport au Brésil ou à l’Australie par exemple ?
Oui, mais l’approche reste la même. Aujourd’hui au Brésil, ce seront des investissements que vont faire des producteurs ou égreneurs pour se différencier et être en avance dans la course aux crédits carbone, en tout cas à la neutralité carbone. En Afrique de l’Ouest, ce sera à travers des acteurs publics ou parapublics.
Le risque existe-t-il à moyen terme que le coton non durable soit exclu du marché ?
Oui. Aujourd’hui, les productions africaines ont une prime qui reflète le fait qu’elles soient BCI et celles qui ne le sont pas sont relativement décotées. A défaut d’une prime celui qui ne l’est pas devient décoté. C’est une première étape. Ensuite, on aura le BCI traçable.
Source : commodafrica.com